Y-a-t-il des "configurations" qui permettent, lors d'une négociation d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), aux équipes syndicales de parvenir à sauver des emplois et à obtenir de meilleures indemnités pour les salariés licenciés ? Réponse dans cette récente étude réalisée pour la CFDT par l'Ires, l'institut de recherches économiques et sociales.
► L'Ires est un institut de recherches économiques et sociales qui travaille au service des organisations syndicales. Réalisée pour la CFDT, l'étude sur les plans de sauvegarde de l'emploi (PSE), dont nous vous donnons ci-dessus un résumé sous la forme d'un commentaire audio/vidéo, est à lire ci-dessous en pièce jointe, ou bien sur le site de l'Ires. Le document complet fait 105 pages mais une synthèse est disponible ici.
Les trois auteurs ont examiné 19 PSE menés entre 2015 et 2018 dans des multinationales, avec quelques PME, et dans les secteurs variés (industrie, automobile, pharmacie, banque assurance, etc.). Ils ont dialogué avec les protagonistes de ces plans sociaux (négociateurs syndicaux, représentants des directions, experts économiques et juridiques, membres des Direccte) pour comprendre les conditions de la négociation et ses résultats.
Ils ont tenté ensuite de répondre à cette question : au vu de ces 19 PSE, y-a-t-il des "configurations" ou des "combinaisons" qui favorisent un "bon" PSE, sachant que la "qualité" d'un plan social est appréciée en fonction de trois critères :
- le volume d'emplois sauvegardés;
- la qualité des mesures d'accompagnement pour les salariés licenciés;
- le montant des indemnités supra-légales.
Voyons à quoi renvoient précisément ces différentes "configurations" pour chacun de ces thèmes.
Selon les auteurs, dans 8 des 19 PSE étudiés, la négociation a permis aux syndicats de réduire "significativement" le nombre d'emplois supprimés. Ces cas correspondent à deux types de situation.
Le cas le plus fréquent est d'ordre conflictuel. La construction d'un rapport de forces par les organisations syndicales est de nature à "forcer" les directions, qui n'y étaient pas prêtes au départ, à négocier véritablement les contours du PSE, notamment du point de vue de l'emploi. Cela requiert de très fortes compétences syndicales, de la connaissance des procédures légales et de la situation économique et sociale de l'entreprise en passant par la capacité à fédérer et à mobiliser, y compris les acteurs politiques et les médias (voir notre encadré). Les auteurs appellent cette configuration "la résistance face au choc".
► Est cité dans le rapport l'exemple de IndusMetal. Une intersyndicale, avec une CGT très active, a mené une grève de 3 semaines en s'appuyant sur un avocat contestant le motif même du PSE, et a réussi à sauver 70 emplois. "Cela implique de convaincre les salariés que la fermeture du site n’est pas inévitable, qu’il existe des alternatives et qu’il faut se mobiliser fortement autour de la sauvegarde de l’emploi", commentent les auteurs.
Une autre configuration est favorable au maintien de l'emploi, mais elle est plus rare : il s'agit d'entreprises n'ayant jamais connu de PSE et qui se trouvent confrontées à une restructuration affectant leurs valeurs. Dans ce cas, les licenciements sont "peu acceptables socialement" si bien qu'il devient important pour l'employeur de trouver avec les interlocuteurs des solutions acceptées par les salariés.
► InterAsso, une association d'insertion des personnes handicapées employant 500 salariés, correspond à cette situation. Au terme d'une négociation tenue "dans un climat bon et constructif", un syndicat ayant la majorité absolue (la CFDT) a pu faire basculer les licenciements en départs volontaires et en reclassements.
A l'inverse, les restructurations jugées "acceptables" par les représentants du personnel (peu de salariés concernés ou une situation économique délicate) et les PSE menés par des sociétés très financiarisées et éloignées des sites de production apparaissent comme très peu favorables à la recherche de moindres suppressions d'emplois.
Quelles sont les situations qui favorisent des mesures d'accompagnement avantageuses pour les salariés licenciés, des mesures rencontrées dans 11 des 19 PSE de l'étude ? Quatre cas de figure sont cités par les auteurs.
Premier cas, la conflictualité, ou "résistance face au choc". Elle montre ici aussi son efficacité.
Deuxième cas, obscurément nommé "statut n'est pas vertu". Ici, c'est l'intervention de la Direccte qui conduit l'entreprise à améliorer la qualité de l'accompagnement proposé aux salariés licenciés, le faible niveau de qualification des employés étant jugé inquiétant.
► Dans l'exemple du PSE de la coopérative agricole Agri-Coop, la négociation a été rééquilibrée parce que l'entreprise voyait mise en jeu sa réputation sociale. "La préoccupation d’Agri-COOP pour son image a constitué un levier pour les organisations syndicales qui ont organisé des actions de mobilisation visibles (rassemblement au pieds du siège social, manifestations…). Ces actions ont été rendues possibles par un front intersyndical qui a progressivement émergé et qui a pu dépasser les divisions syndicales pourtant à l’oeuvre dans cette entreprise. Au final, le projet de restructuration sera signé par les trois syndicats représentatifs de l’entreprise (...) La négociation a permis de faire évoluer significativement le dispositif d’accompagnement et le régime indemnitaire que l’employeur situait au minimum légal dans sa proposition initiale. Les mesures vont au-delà de ce qui se pratique habituellement dans le secteur d’activité", résume l'étude.
Troisième cas : la Direccte joue ici un rôle important. En laissant planer la menace d'un refus d'homologation d'un PSE unilatéral, l'administration pousse l'entreprise -il s'agit ici de sociétés "financiarisées" ou dont les centres de décision sont éloignés- à réellement négocier, d'où de meilleurs résultats à l'arrivée.
► Dans le cas du PSE d'Asset, filiale de gestion d'actif d'une multinationale (138 postes sur 1 400), les délégués syndicaux ont pu compter sur l'appui de la Direccte qui a refusé le premier découpage des catégories professionnelles envisagé par l'employeur. Cela a permis ensuite une négociation d'un meilleur dispositif d'accompagnement et d'indemnisation.
Quatrième cas : l'héritage de l'histoire. Ici, ce n'est pas la compétence des équipes syndicales ni leur capacité à engager un rapport de forces qui expliquent de bons dispositifs d'accompagnement mais...une certaine habitude. Dans ces entreprises, on a déjà connu des PSE et donc on prend comme références des plans précédents qui comportaient des mesures favorables.
► Un des exemples cités est celui de GenPharma (PSE touchant 200 personnes, soit 40% de l'effectif. La division des syndicats mais aussi l'indifférence des salariés, rapporte l'étude, ne favorisent guère de bonnes négociations. Pourtant, les mesures retenues sont supérieures à ce qui se fait dans le secteur, car la discussion a pris pour référence l'enveloppe budgétaire importante du plan précédent.
Trois situations sont propices à l'obtention, par la négociation, d'indemnités supra-légales favorables pour les salariés licenciés, une situation rencontrée dans 10 des 19 PSE étudiés.
On retrouve ici encore la stratégie de la conflictualité. Même lorsque la résistance des représentants du personnel vise d'abord la non destruction de l'emploi, cette stratégie de bataille aboutit souvent in fine à des indemnités importantes pour les salariés dont le contrat est rompu.
► Le PSE d'IndusElek (350 emplois supprimés sur un site de 800) a donné lieu à manifestations, présence médiatique des syndicats, soutien de figures politiques locales et nationales. Une procédure très longue (10 mois) ponctuée par un premier refus d'homologation d'un plan unilatéral a abouti à de réelles négociations. Elles ont permis de sauver 50 postes et surtout d'améliorer les indemnités supra-légales, "situées au-dessus du benchmark réalisé par les équipes syndicales", ces dernières estimant que les salariés ont, au moins, "un chèque honorable".
Deuxième situation : "l'imposition d'indulgences". Ce terme, qui fleure bon son Moyen-Age (1) , désigne ici la pratique d'entreprises qui sont conscientes qu'un PSE écorne le contrat social et peut entraîner des dégâts sociaux, quand bien même l'employabilité des salariés licenciés est bonne. Ces entreprises, si elles sont confrontées à de solides équipes syndicales, peuvent lâcher des indemnités importantes. "Le versement d'indemnités "hors normes" vise au moins autant à payer le coût moral du PSE et à faciliter son acceptation, qu'à compenser financièrement le possible manque à gagner des salariés", écrivent les auteurs, Vincent Pasquier (HEC Montréal), Rémi Bourguignon (Université Paris-Est Créteil) et Géraldine Schmidt (IAE de Paris).
Troisième situation favorable : l'héritage de l'histoire. Comme vu précédemment pour les mesures d'accompagnement, c'est la réalisation antérieure de PSE négociés sur des bases favorables qui explique la reproduction de ces mesures dans le nouveau PSE, y compris en l'absence d'équipes syndicales compétentes et combatives.
Parmi les enseignements de cette étude, on notera cette phrase : "Plus le centre décisionnel est éloigné du niveau de négociation, ou plus le management est sous la pression de contraintes financières, plus il sera difficile de faire valoir des propositions alternatives". Cela rejoint d'autres travaux récents qui portent sur l'influence de la gouvernance mais aussi de la proximité des centres de décision et des centres de production quant aux décisions de restructurations et délocalisations prises par les sociétés (lire notre article). Autrement dit, la réputation sociale de l'entreprise et des dirigeants peut être un point sensible et donc un levier à utiliser du point de vue syndical.
Le rapport de l'Ires met surtout en évidence la nécessité pour les équipes de négociateurs syndicaux et pour les représentants du personnel des CSE de disposer d'un solide capital de compétences et d'expériences, mais aussi de réseaux pour défendre au mieux les intérêts des salariés, notamment en s'appuyant sur l'intervention d'experts comptables et d'avocats, "un ingrédient indispensable des stratégies syndicales gagnantes".
A l'heure où le CSE a rebattu les cartes de la représentation du personnel, comment préparer élus et négociateurs à la complexité de leur mission lors d'un PSE ? Les auteurs incitent les organisations syndicales à explorer des pistes comme "la création d'une task force pour parer aux plans les plus pressants, la mise en place du tutorat, le parrainage pour faciliter le partage d'expériences et l'acquisition de compétences", etc.
(1) Au Moyen-Âge, les indulgences consistaient à racheter un pêché en versant une obole à l'église.
Qu'est-ce que la compétence d'un représentant du personnel à l'égard du PSE ? |
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Comment définir la compétence, au regard d'une négociation d'un PSE, d'une équipe de représentants du personnel ? Les auteurs, qui évoquent le terme de « capabilités », estiment que les représentants du personnel sont compétents s'ils maîtrisent au moins 3 des 4 compétences clés suivantes :
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